Le vrai visage des Sirènes - Eléonor Blémand

  



Titre : Le vrai visage des sirènes

Tome 1 : Origines

Auteur : Eléonor Blémand

en autoédition

Année de parution : 2020


Sur le seuil entre terre et mer

Chaque année de mon enfance a été bercée par deux périodes phares, si je puis me permettre : les vacances d'hiver au ski et celles d'été à la mer, que je préférais, avec les légendes qui vont avec, entre sables mouvants et mystères maritimes. Le Mont Saint-Michel en restera l'emblème pour moi, ou l'Ile de Noirmoutiers peut-être moins connue. Autant dire que j'ai bien crapahuté dans les roches, en appréciant l'exotisme des créatures qui peuplent le fonds des mers. Sans aller chercher bien loin, on s'aperçoit vite que sous l'eau la limite entre minéral-végétal-animal et humain est bien moins précise.


Ajoutons à cela les histoires de Sirènes d'Andersen ou de l'Odyssée, et on obtient sans peine un tableau marin fantastique !
Je me suis donc retrouvée en "terrain connu" si l'on peut dire : entre l'Ecosse, la Croatie et la Nouvelle Zélande, l'Adriatique et le Pacifique, ce premier tome traite la planète comme un tout, et à juste raison, comme nous le rappelle le Cairn : "Les océans, avec une superficie de 360 millions de km², représentent 71 % de la surface du globe. Ils occupent de façon très inégale la surface de la Terre : 80 % de la superficie de l'hémisphère sud est marin contre seulement 60 % de l'hémisphère nord. Les trois grands océans : Pacifique (180 millions de km²), Atlantique (106 millions de km²) et Indien (75 millions de km²) communiquent avec l'océan Austral, le seul à faire le tour de la Terre sans rencontrer d'obstacle. L'océan Arctique (12 millions de km²) est en communication avec l'océan Atlantique, il y a donc continuité de la masse océanique : on parle d'un océan global. "
Mais toutes ces indications ne sont pas mises en avant, au contraire : les caractères sont si forts, si bien encrés/ancrés, les parcours de vie si prégnants qu'on évolue comme des poissons dans l'eau dans cet univers profondément imaginaire.

Chasse à l'homme et page turner

J'avoue n'avoir pas trouvé le temps de poser mon livre (en l'occurrence ma liseuse). L'autrice maîtrise absolument la volte-face dans un style désopilant qui ressemble parfaitement à la devise affichée sur sa page Facebook :
"Si tu tombes, je serai là. Signé : le sol."
L'héroïne est en cavale, poursuivie par un ex pervers narcissique qui la presque détruite, sauf qu'en réalité, elle est très forte : elle se plaint, elle s'autocritique, elle se secoue et elle va de l'avant. Son caractère fonceur rend le début du récit aussi fascinant qu'un saut en parachute sans parachute. 
Il y a les scènes cultes de l'attente à la gare, des premiers mots en croate, de la rencontre avec ses nouveaux collègues. L'humour sur fond de désespoir, c'est irrésistible. D'ailleurs, j'ai eu l'impression de reconnaître la façon d'être de certaines personnes autour de moi !
Avec ça, le thème du mensonge - que j'apprécie beaucoup,  est récurrent. Il y a tellement de bonnes raisons pour mentir :
  1. pour se protéger soi-même (ou du moins parce qu'on s'imagine que le mensonge aura cette conséquence)
  2. pour protéger ceux qu'on aime (ou du moins, on ne voit pas d'autre solution)
  3. parce qu'on nie la réalité (et qu'on a sa fierté personnelle)
  4. parce que la réalité est inacceptable ! (surtout quand on est témoin de faits surnaturels)
Et c'est là où le roman est très fort car on glisse d'un fait divers - une trentenaire en fuite pour échapper à l'emprise de son manipulateur de mari (et hélas, je pense aussi à certaines personnes) à un univers diamétralement différent qui n'a plus rien à voir même avec la réalité terrestre connue. 
Et il n'y a pas réellement de point de bascule identifiable : c'est comme quand la marée monte. La mer est tellement loin et tout à coup, on est obligé de grimper sur un pilône de secours car la route est noyée.


En tous cas, il m'a semblée parfaitement naturel, en fermant ce premier tome que certains personnages puissent disposer des aquariums en pleine forêt comme relais télépathiques et se construire des baignoires à système marin comme milieu de vie quotidien. Sans compter les autres pouvoirs développés dans ce monde qui reposent sur des lois (plus ou moins) bien connues de la physique : vibrations sonores, électricité, etc.

Et plus le roman avance, plus on est en cavale car les agresseurs se multiplient, mus par une soif de pouvoir, qui semble bien être le seul point commun entre terre et mers.

"Miroir du monde"

Au final, l'ambiance du roman était tellement aquatique qu'elle m'a immergée dans un souvenir très intense d'un film dont je ne me rappelais plus rien sinon que l'actrice principale, femme de ménage dans un institut de recherche se cuisinait des œufs durs au quotidien pour son casse-croûte de midi, ce qui peut sembler anodin au premier abord mais constituait aussi le principal canal de confiance dans la communication étrange qu'elle a établie avec une créature non moins étrange étudiée sans aucun scrupule par les techniciens institutionnels.
J'ai donc déployé toute mon énergie et une bonne partie de ma nuit pour retrouver ce film dont je ne savais plus grand chose, hormis cette ambiance bleue, silencieuse et amoureuse, scrawlant sans répit des sites tels que What is my movie, que je vous recommande au passage, pour leur propension à développer la sérendipité. Bref.
J'ai fini par me souvenir de The Shape of Water de Guillermo del Toro dont j'ai heureusement oublié la fin car je crois qu'elle était fort triste. mais toute la rencontre m'a laissé émerveillée. 





En bref, je trouve que ce roman est à la fois un récit fantastique,  thriller, un road-movie, un roman psychologique, un récit d'aventure et une histoire d'amour, et que la plume de l'auteur est magistrale puisqu'elle surfe allègrement dans toutes ses densités avec une intensité irrésistible ! (Vivement le tome 2 :-) ) Du coup, je ressens le besoin de créer un nouveau mot qui puisse désigner ce genre en littérature et en fiction : le "STREAM-TRIP" ! Aussi haletant que le road-trip mais en version aquatique, au gré des courants marins... à ma connaissance, c'est le premier du genre, 20000 lieues sous les mers me paraissant trop "vertical"pour entrer dans une telle catégorie. 
Dites-moi si l'appellation vous semble jouable ;-)

Pour en savoir plus sur l'oeuvre de Eléonore Blémand




Dans ma pile à lire du mois d'août

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