Entendre l'écrit - Denis Daul
En
ce temps-là qui dure encore, le sud Lyonnais, sans doute amoureux,
avait rejoint le nord de l’Isère. Les idylles tectoniques ont le
pouvoir dit-on de générer des astres, on ne peut les atteindre qu’à
travers une rythmique tellurique poétique.
Je
fus convié à rencontrer un de ces météores, mais avant « d’y
faire »
selon la sagesse lyonnaise, j’allais m’enquérir de l’épaisseur
du gone chez quelques Mères illustres. Elles causaient le
franco-provençal devenu celui des traboules.
La
dame de Saint-Jean m’enseigna longuement, puis elle jacta lapidaire
« Tu le reconnaîtras sans faute, il porte un galurin »
et aussi sec bavassa un authentique syllogisme de la Mule :
« Tous
les poètes sont chapeautés,
Or Denis porte un galurin,
Donc Deux Nids est un poète ! »
Sa
voisine m’avertit que le sieur en question se drapait derrière une
antonomase.
Oh !
Mère Guille qu’es aco ? A peine avait-elle pris son élan que
sa voisine qui venait de terminer sa cervelle de canut postillonna la
solution. « L’antonomase, claironna la mère des Brotteaux,
est une figure de style, ça va bien aux poètes, on prend un nom
commun et on le rend propre… elle ajouta : c’est du grec…
du vrai ! »
Et
deux nids, devint Deux Nids…
« J’y
crois pas ! Dis-je…
La
mère Guille qui voulait rattraper son retard, jacta urbi et orbi :
« Y est assez bavassé… écoute ce qu’y dit l’drôle ! »
« Quand
je veux faire de bons vers, le tout est de bien prendre la
golichinante en commençant. Puis ça va tout seul ! »
C’est t’y pas trompeté ça ?
La
mère Guille me tendit l’opus du chapeauté et conseilla…
« Brandusse
donc pas, vas z’y voir !
« J’y
fus, j’y vis et alors j’y crus…
Permettez,
mes gentilés, de brosser le style de l’astre. L’homme se
présente bien en chair, Villon n’aurait pas renié son froc de
troubadour. Il porte barbe de sage, celui qui vécut jadis
aujourd’hui autant qu’au futur, l’abord, l’avant, ici et là.
Une question surgit : va-t-il au lit chapeauté… d’aucuns le
prétendent… c’est un de ses mystères.
J’ajoute
que son regard… voit… ce que tant d’autres s’escagassent à
percevoir.
C’est
à ce regard-là qu’on reconnaît un poète… dit-on, moi je le
crois.
Après
cette lyonnaise présentation rabelaisienne bien de chez nous,
intéressons-nous aux mots du félibre.
Rien
n’est plus secret qu’un poète qui vous sourit. Lisons l’œuvre
pour atteindre la vibrante moelle… ensuite nous pourrons causer.
Son
dernier texte « Entendre l’écrit » se présente sous
la forme de 59 orgasmes poétiques sensuels en vers libres… j’ai
dit « orgasme
poétique sensuel »
nuance !
La
taille des strophes accepte facilement la période et permet
l’amplitude de l’élévation de chaque propos… suivant la
richesse du thème.
La
rime est croisée, suivie, ou ailleurs en balade… elle aime souvent
l’apocope. La plupart des vers ont une métrique de six pieds, la
césure n’est ni rebelle ni obtuse et encore moins systématique,
elle rythme la cadence des élans du cœur.
Il
n’est pas fortuit que deux des vers les plus longs se distinguent
pour rendre hommage en rimes suivies à la : « Main du
créateur »
« Elle est le prolongement de moi
Elle tient ma plume entre ses doigts »
Notez
que si la main tient la plume, le chapeau pouponne les neurones…
Après
ce lapidaire descriptif technique, analysons le sens sensuel de
l’essence des sens ! Un mot résume le message :
« Aimer »
C’est
le titulus de la première strophe, il irrigue l’ensemble du
parchemin. Le poème nous offre 9 anaphores qui reprennent ce beau
verbe au début de chaque strophe tel un développement
programmatique : « Aimer c’est : la surprise,
s’engager, dépeindre, accepter la faiblesse, vaille que vaille,
respecter, pour donner enfin…
« L’amour
en chemin. »
Ce
premier texte offre bien d’autres élévations. A l’unisson
vibrent les quatre rimes suivies de chaque strophe, la lecture prend
alors la résonnance musicale d’une comptine.
Modérato-espressivo-andante
le texte déclinera le verbe « aimer »
mezza-voce-appassionata… cantabilé.
Le
vocabulaire n’est en rien précieux, il dit le mot simple et juste.
Le vers, par ses cadences et ses élans, nous transporte au chœur
des sentiments. Je précise que simple ne veut point dire simplet. Il
suffit de huit notes à Mozart pour composer ses sublimes partitions.
Simple, mais voilà, certains transcendent avec un minimum, ils
esquissent la profondeur d’un ciel, la douceur d’un velours qu’on
effleure, la détresse d’un corps souffrant, ou la sensuelle peau
de femme que l’on caresse.
Oui,
le poète est un amoureux des mots des fleurs des êtres ; il
s’offre à ouvrir son âme, parfois, pourtant il exprime sa grogne
contre :
« Les
promesses périmées »
L’opus
développe d’autres thèmes que Deux Nids irrigue de sa création,
je retiens… le contact, l’engagement, la tendresse, la maladie,
la faucheuse qui veille, le cycle des saisons, les ruptures de
rythme… mais aussi les moments perdus, les attentes : une vie
en somme.
Une
palette d’émotions
Où
je puise ma passion...
Vous
verrais-je bientôt ??
Me
suivre derrière mes mots...
A
travers les soupirs, l’instant poétique semble, irrationnel,
projette… la plume…
Aime
la déraison
Ou
donne-moi une raison !!!
Aiment
la poésie
En
vers... et contre tout !!
Soudain
le poème « Et
s’envoler »
le 13, ce n’est pas un hasard, dévoile la fragilité de l’être.
La flamme du luminion a vacillé, sous les chocs de la vie ; le
leitmotiv reviendra plusieurs fois dans l’opus :
Qui
es-tu blouse blanche
Vers
mon corps couché??
Es-tu
la dame blanche
Que
je vais rencontrer??
Non,
ce n’est pas encore son heure, ce n’est pas l’heure, c’est
une autre heure, l’heure qui restaure la chair afin de partager ce
que Deux Nids a encore à nous confier…
Je
ne dormirais pas
Car
je n’ai pas tout dit…
Le
cycle se poursuit, c’est le miracle de la renaissance du corps par
la force de l’esprit… le cœur à tant de choses à partager…
Je
n’aurais jamais cru
Pouvoir
lui dire je t’aime
Mais
dès que je l’ai vue
Ce
fut l’évidence même !
Dès
lors, nous suivrons les développements syncopés, entre les instants
gris et ceux de rédemptions. Le regard devenu attentif, scrute les
moments creux… la vieillesse, l’arbre fracassé, la fuite des
saisons, l’adversité mais sans cesse revient la vague dominante
émotionnelle…
Le
bonheur
C’est un instant de grâce
Découvrant
dans la glace
Ton
sourire moqueur…
Très
loin, c’est aussi l’appel spirituel, la voie de Compostelle
« Partir », lâcher prise…
La
poésie et sa musique
Moi, assembleur de mots
Toi,
faiseur de guitare…
Leçon
de vie, réalité immanente, cadence des joies et des peines, le
poète approche l’espace transcendant… la sagesse… il sait que
l’ainsi peut-être transcendé par l’échange et donne un sens à
une trajectoire :
J’ai
appris la sagesse
Et
rempli de tendresse
Mon
cœur de vieil amant
Pour
au moins deux mille ans…
C’est
la force de la poésie que de pouvoir triompher de toutes les
décadences par la seule puissance de l’amour.
Et
quand sur moi tes yeux
Se
posent, délicieux
Je
ne peux résister
A
l’appel de tes lèvres,
De
la plainte amourée
Qui
dans la nuit s’élève….
Tu
vois Deux Nids… rien n’est plus difficile que de transmettre
l’émotion. Nos mots se sont tant usés avec les frottements du
temps, il t’a fallu revenir au signifié premier originel pour
créer le vrai saisissement qui permet le lien… retrouver la chair
du mot.
Loin
des pathos, telle une esquisse de Matisse, une appogiature de Mozart,
la naissance d’un papillon tu parviens à franchir l’espace
incommunicable.
J’ai
lu la partition, j’ai écouté les harmonies soyeuses de tes mots,
elles atteignent le chœur du cœur… « Entendre l’écrit »…
et c’est bien !
Adessias
félibre !
Alain
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