Chemin du bout du monde de Jean-Benjamin Jouteur









Titre : Chemin du bout du monde, un roadbook, une enquête

Auteur : Jean-Benjamin Jouteur


Collection : Roman noir

Année de parution : 2018

Isbn : 171981175X 


C'est du vécu, ce roman noir ?

Dès les premiers paragraphes, je me suis posé une question :
Est-ce que JBJ (l'auteur) était sur les lieux des scènes qu'il décrit ?

Cela dit, pour évoquer correctement des situations intenses, un auteur a-t-il besoin d'en avoir vécu de similaires ? Agatha Christie vivait-elle sous un couvercle de faux-semblants ? Victor Hugo avait-il connu la misère des bas-fonds parisiens ? On répondra bien sûr qu'un auteur peut se documenter, lire ses prédécesseurs, inventer. N'est-ce pas à l'auteur de faire preuve d'imagination, d'inspiration, d'intelligence - surtout l'auteur de polar qui brouille les pistes à souhait ?

Pourtant, Chemin du bout du monde est un roman criant de vérité. Jean-Benjamin Jouteur a puisé aux tréfonds de l'âme humaine pour dessiner ses caractères. A-t-il vécu ce qu'il raconte - ou du moins a-t-il été témoin dans cette cavale qui tourne mal ?

De mon point de vue, ce roman noir a une tonalité foncièrement différente de celle d'autres livres de cette catégorie, dont j'ai été une lectrice compulsive entre 20 et 30 ans.( Ensuite, il est vrai que je suis passée à autre chose... Bref.) Dans ce Chemin du bout du monde, on entre dans un univers parallèle, imaginaire peut-être mais tissé des mêmes fils de rêve, d'espoirs, d'échecs et d'ambition que notre propre réalité. Chaque personnage est immense du non-dit qu'il véhicule. Les "méchants" même ont une dimension d'humanité qui excède la moindre tentative de jugement à l'emporte-pièce.

Et pourtant, comme dans la tradition du genre, la lumière se fait au fil d'une histoire bien sombre. Elle éclaire des parts d'ombre qu'on croyait révolues et devient tellement forte que certains faits réagissent en miroir. Du coup, tout n'est pas complètement expliqué - car dans la vie, tout n'est pas complètement explicable.
Reste la poésie des descriptions et des images qui cisèlent l'ambiance de chaque scène. Comme au théâtre, le roman représente les paysages avec des mots noirs sur blanc (ou l'inverse, sur ma liseuse) mais ce qui crée l'émotion est entre les lignes, dans les cœurs battants qui les ont dits ou qui les lisent*.

L'histoire vous écoute

Dès les premières pages, le cadre est posé en plusieurs tableaux nocturnes qui donnent des clés pour la suite. Quand il a été question de l'urbexeur, j'ai reconnu la couverture en même temps que j'apprenais le mot. (Il désigne un "mec qui s'éclate à explorer et filmer des lieux abandonnés" - p57).
C'est plutôt glauque et embrouillé comme début, sauf que les portraits des personnages sont d'une remarquable intensité. L'homme pourchassé qui a le cran de saboter la voiture de ses agresseurs sous leur nez... La jeune bourgeoise dépressive et terrorisée. Les tenanciers bon enfant d'un bar de campagne. Et surtout, la commandante de gendarmerie Christine Cartier qui n'en fait pas justement, de quartiers, avec son franc parler et son attitude sans concessions. La préface de PolJack lui rend un bel hommage, qui attend une réponse, j'espère.

Entouré d'une telle brochette, le lecteur comprend tout de suite que l'histoire ne manquera pas de piquant. Et l'auteur tient ses engagements jusqu'au bout, sur un rythme implacable de la réalité qui rattrape et dépasse toujours l'imaginaire, dans le cas des personnages de roman comme dans la vie, je crois, jusqu'à l'évidence. Car la fin semble aussi évidente que le début paraissait confus. Et je me suis surprise à relire l'attaque de la SUV et la scène du bar pour vérifier la présence de... Ah non, je ne dévoilerai pas le nom en avance ! Lisez plutôt...

Cela dit, alors qu'il est question de mensonges, d'omissions et de manipulations, j'ai eu l'impression d'avoir les cartes en main et de pouvoir soupeser les différentes hypothèses avec la commandante. Leur exposé est intéressant d'ailleurs, comme si elles présentait les possibles d'une réalité pourtant unique mais que chacun peut faire évoluer à tout instant en prenant une décision autre. Dans ce livre, il est clair que l'auteur est à l'écoute de ses personnages. Sans se laisser entraîner dans des voies qu'il ne souhaite pas, il suit ses personnages jusqu'au bout de l'attitude qu'ils doivent assumer, sur le chemin du bout du monde. Par ricochet, le lecteur s'écoute aussi réagir, par une mise en abyme émotionnelle qui ne manque pas d'être troublante.


Le secret ...;-)


Ce roman est une performance, enfin plus précisément une adaptation d'une pièce jouée par la troupe du Théâtre participatif. D'ailleurs, l'auteur le reconnaît au début, dans la dédicace et la citation préliminaire. Même s'il prend des libertés, c'est un cheminement collectif qui lui a permis d'en arriver là.

Le narrateur est médium (singulier de média :-) ), observateur, témoin, transcripteur d'une histoire qui met en jeu l'humain en nous. A aucun moment, il ne juge, ni ne préjuge. Certains personnages le font peut-être : ils sont pris dans l'action, contraints de tenir leur position. Le narrateur, lui, tient la lampe de poche et essaie tant bien que mal d'éclairer les âmes. Au lecteur de se positionner, si le cœur lui en dit. Libre à lui de développer de l'empathie ou de la discrimination. Le propos n'est jamais allusif ou à double sens : C'est comme cela qu'untel a parlé ou a agi. C'est comme cela qu'on l'a retrouvé. Le chemin du bout du monde est farci de morts et de coups de feu, de délits et de crimes. Pourtant, à la fin, j'ai eu l'impression que tout était accompli. Mané, Mané, Thecel, Pharès comme le déchiffrait Daniel à Babylone : tout est pesé, compté, divisé après les spectaculaires retournements de la fin.

Dans ce sombre univers de fin du monde, reste l'espoir. L'espoir de voir un toxicomane revenir à la vie grâce à l'écriture et l'amour de ses prochaines, l'espoir de voir les personnages les plus justes et passionnés continuer leur route, l'espoir qu'un jour nouveau se lève sur le Forez, l'espoir de lire encore un roman de cette force-là. (De mon côté, l'attente sera courte : il y a Chronique d'un avatar que je n'ai pas encore lu ;-) )


Que lire ensuite ?

Un essai du même auteur : Théâtre participatif, Des maux en actes. Pour cette chronique, j'ai triché, je l'avoue; je ai lu le roman en même temps que l'essai.
Et je n'aurai pas le loisir d'accorder toute une chronique à ce livre qui est une mine d'or. Cependant, cette lecture a complètement éclairé ce que j'ai écrit ci-dessus. Ce travail immense mené par la troupe pour connaître la psychologie des personnages et leur permettre de réagir dans leur logique pendant le jeu des questions réponses est venu nourrir formidablement cet écrit. La situation la plus courante est inverse : un auteur invente un personnage imaginaire puis le découvre sur scène ou sur un écran, plus ou moins fidèle à lui-même. Ici, JBJ a fait entrer dans son récit l'infini richesse des rôles qu'il a vu évoluer devant ses yeux. Même s'il prend des libertés dans son adaptation (sans doute pour mieux répondre aux contraintes du genre), l'épaisseur de ses personnages, même secondaires, est époustouflante. De simples expressions révèlent tout un caractère : "Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise... c'est un constat... Les jeunes que nous récupérons n'ont pas le QI d'Eisntein" dit un conseiller principal d'éducation. Et on y est tous, là, maintenant, comme assis sur ses genoux, dans son bureau.

Pour l'avoir à soi : Chemin du bout du monde, Amazon

La page Facebook de l'auteur bien sûr : https://www.facebook.com/jean.jouteur

Et ses sites dédiés :

Comédien - Théâtre d'intervention sociale

http://www.jeanbjouteur.com/

Psychopraticien en thérapie brève

https://www.jbjouteur-therapeute.com/ Auteur auto édité

http://jouteur.gandi.ws/



*La citation de Victor Hugo m'a beaucoup plu : « Le théâtre n'est pas le pays du réel : il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l'or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C'est le pays du vrai : il y a des coeurs humains dans les coulisses, des cœurs humains dans la salle, des cœurs humains sr la scène. »
Victor Hugo, trouvé p82 des Maux en actes, JB Jouteur.

Commentaires

  1. Lire une œuvre, la ressentir et surtout savoir la dépeindre avec tant de forces, d’humanité, d’émotion et d’intelligence, ne peut que rappeler le travail du peintre, qui par ses pinceaux magnifie le paysage que pour nous il contemple. Merci Céline Bernard

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    1. JBJ, vous me faites rougir. Merci de trouver des mots qui rendent la vie plus belle et nous inspirent de profonds sentiments. Que 2019 soit aussi belle, généreuse, sereine et forte que les romans que vous savez nous offrir.
      Au plaisir de vous lire :-)

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