Errances d'un pantouflard : la ville blanche de Jean-Benjamin Jouteur



Titre : Errances d'un Pantouflard - Tome 2 La ville blanche
Auteur : Jean-Benjamin Jouteur
Editions : Jean Bart Editions
Année de parution : 2021


Cette chronique est librement écrite en service presse.

L'effet thérapeutique de la transparence 

Ce doit être la première fois qu'après avoir chroniqué le tome 1, je m'attaque à un tome 2. Mais je n'ai pas peur de la redite car l'histoire est juste par-fai-te* !!! Canicule oblige, j'ai lu le roman en une journée avec un enthousiasme plus grand encore que pour le premier et pourtant l'auteur me l'avait un peu "spoilé". Pas grave mais je n'ai donc pas été surprise par l'escalade ou la dégringolade - tout dépend si on lit l'histoire normalement ou la tête en bas, de ce grand échalas de Yohann.

Ce qui est sûr, c'est qu'en abordant une suite, on est à l'aise dans l'univers : la bécane, Brel, le meilleur pote de galère, le sud de la France. Un terrain connu en quelque sorte, on aborde sans transition la suite des aventures comme si on ne s'était jamais quittés, comme si on était ensemble depuis toujours, à cœur ouvert. Complicité maximum, compréhension à demi-mots, même longueur d'ondes. Et c'est très fort parce que la situation s'est sensiblement durcie tout de même. La fin et la faim justifiant les moyens, on se retrouve pareil que Yohann, au pied du mur, convaincus que le siphonnage et le joint sont les seules options viables dans cette société qui ne l'aura pas, ni sa liberté.

De plain pied dans une humanité vécue et revendiquée, à la fois responsable de décisions hasardeuses et capable d'évaluer tous les enjeux avec une lucidité prémonitoire, ami pour le meilleur et pour le pire, le plus souvent tellement déçu par le tour des événements que les bras lui en tombent, avouant ses erreurs d'appréciation (pour le marché par exemple) et niant l'évidence (pour l'héroïne entre autres), le protagoniste est un apprenti sorcier tout aussi génial que l'auteur pour des raisons qui m'ont semblé relativement évidentes. Du coup, je vous mets la recette.


*par-fai-te et nonobstant trop courte mais je l'ai déjà dit la dernière fois :-)

JBJ est né scénariste ... il ne l'est pas devenu ! (Toutes les preuves sont là !!!)

Si le tome 1 était pour moi plutôt dédié à l'amour, La ville blanche est un hymne à la liberté en version réelle, morbide et infinie. 
Car le jeune homme qu'animent des discussions intérieures à couteaux tirés se consacre méthodiquement à son exploration. Il commence par supprimer tout jugement moral pour mieux s'engouffrer dans les plans foireux, par esprit de contradiction dirais-je. Le cocktail n'est pas toujours digeste et de façon assez étonnante, ce sont les autres personnages, hauts en couleurs, qui relèvent le défi du retour au calme. J'ai adoré Babette et son thé, Kiss et son naturel, Neuf et ses aphorismes, François le Bon Samaritain, Groucho Marx et son clin d'œil à la fin de l'entretien d'embauche, José et ses bougonnements. La galerie est irrésistible ; c'est une magnifique cour des miracles  qui bénéficie de la gratitude et de la bienveillance de l'auteur. Au contraire de Yohann qui, lui, écope d'un regard au vitriol, se retrouve constamment sur le grill, sujet à dédoublement de conscience et affublé de sobriquets désopilants ou émouvants, "Condor Narquois" ou "la mouette", "Xan" et j'en passe. Le côté thérapeutique réside peut-être dans cet élan de l'auteur qui s'observe d'en-dedans et d'en-dehors en même temps : un exercice de haute voltige mais que je peux transposer facilement sur mes souvenirs (Allez savoir pourquoi, c'est la magie Jouteur ;-) )
Quant aux références audiovisuelles, elles abondent et l'époque entière se dessine petit à petit au fil des mentions des classiques qui ont bercé notre enfance ou jeunesse ou, à la limite, celle de notre famille.
La bande-son marche à fond pour moi avec des titres qui me donnent envie de chanter à tue-tête devant l'écran de mon ordi de bureau sur un karakoé Youtube...





En fait, au départ, j'étais partie pour écouter  la route de Michel CORRINGE https://www.youtube.com/watch?v=pbBHl9ysNOI
avec quand il a dit "LIBERTE" en grasseyant le R, j'ai pensé à Jean FERRATet à cause du poème de Baudelaire et de l'Enivrez-vous de ce matin, j'ai finalement choisi la liberté de Serge REGGIANI .... J'aurais pu opter pour "Avec le temps / avec le temps / va, tout s'en va" mais je crois que ce n'est pas ça du tout. Car la simple lecture de certains passages m'a littéralement propulsée dans une vie d'avant qui ne s'est pas évaporée mais juste figée dans un passé qui ne demande qu'à s'accrocher. Mais où l'insurmontable tristesse des deuils s'est changée en une immense tendresse sans que je m'en rende compte...
C'est dire si le roman est efficace, tellement emblématique de cette époque, de ses illusions et de ses désordres. Je n'ai pas osé exhumer de mes cartons la photo de la Kawa 500 dont j'étais l'inconsciente passagère de vacances... J'ai eu peur, je crois, de la trouver aujourd'hui aussi laide que la Bufflette alors qu'à 20 ans, elle représentait pour moi le summum de la customisation : fond violet avec des créatures pseudo-mythiques jaune poussins réalisées à l'aérographe d'après de fascinants griffonnages sur kleenex tout gras à cause du beurre de Marrakesh du paragraphe précédent.

Enfin, le grand art du scénario des Errances,  c'est de réussir à tracer une ligne pas du tout linéaire puisque que la vie de Yohann non plus ne suit pas une trajectoire trop droite. Et là, c'est très chouette et j'en redemande ! mais je crois que je devrai tout de même attendre le tome 3...

(Post-scriptum : Et là en relisant ce paragraphe, je me suis dit que décidément la liberté que je préfère est résolument potentielle avec GREGOIRE et Maurice CAREME : https://www.youtube.com/watch?v=Fr2wMY8jkRY )

Les méandres de l'histoire avec un H et un S

Ce qui est extraordinaire avec Yohann  avec un H et deux N, c'est qu'il représente le passé comme l'avenir. Des gars de 20 ans qui lui ressemblent, j'en ai rencontré une floppée mais surtout, ceux qui croiseront désormais ma route auront aussi cette petite étincelle supplémentaire de vérité, bref ils seront plus vivants peut-être moins loin de moi.
 Sur Youtube, Nota Bene résonne absolument avec cette posture. Peut-être parce qu'il part du principe d'une égalité de fait entre tout le monde et pulvérise les frontières entre ceux qui sauraient et ceux qui ne sauraient rien mais en tout cas, il a cette même propension à faire vivre une époque, n'importe laquelle, juste en évoquant l'imaginaire qui sous-tendait les actions et les décisions des gens. On se retrouve à considérer l'histoire du côté des émotions et de l'imaginaire : c'est aussi irrésistible que les Errances !



Et j'aurais voulu terminer cette chronique par l'URBEX, une discipline (eh oui, ma bonne dame/mon bon monsieur) qui consiste à explorer les endroits abandonnés de notre entourage et qui donne lieu à publications, commentaires, création de communauté. Yoann, il a tellement adopté l'Urbex comme mode de vie qu'il est inutile de le dénommer. Quant à moi, j'ai ce sapré souvenir sur le bout de la langue : en 1996 ou 1997, j'ai passé un mois entier dans un camp de vacances abandonné à la frontière entre Tarnos et Boucau, pas loin du Bricomarché me semble-t-il, avec des arbres qui avait poussé dans les préfabriqués... Le mois le plus coolos de ma vie sauf que je m'étais empoisonnée avec un jus de pomme avarié. devant le feu de camp quotidien, j'avais refusé la bière habituelle, je n'aurais pas dû... 
Avis aux Basques (Maps n'est pas très coopératif) : cet endroit punk et idyllique existe-t-il encore ?


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Profitez de l'auteur quand il n'est pas par les chemins de Bretagne






Commentaires

  1. Merci Celine pour ce si beau texte, merci vraiment.

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    1. Tu souffles mes mots : c'est ton roman qui justifie mes errances ! J'imaginais que ces souvenirs seraient douloureux...ben c'est drôle, j'embraie ta posture et je les trouve .... acceptables ! Les Errances seraient-elles thérapeutiques ?

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    2. Elles l'ont été pour moi. Après avoir bouclé le tome 2, je pense avoir découvert une certaine sérénité.

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