L'utopie des fous



Titre : L'utopie des fous

Auteur : Anthony Boucard

Editions : IS Editions


Année de parution : 2018


Cette chronique est écrite pour le Prix des Auteurs Inconnus - 2018-2019.

 

Est-ce l'empereur qui rêve qu'il est fou -ou l'inverse ?

Placer une intrigue dans un centre d'accueil psychiatrique, c'est annoncer la couleur : le décentrage va donner un point de vue nouveau sur les enjeux du récit. Et en même temps, c'est un retour aux sources, à l'essentiel, à l'humanité même. L'effet romanesque est attendu en quelque sorte : en opposant la société "normale" au groupe divergent des malades mentaux, on finit par s'apercevoir de l'inversion des valeurs : l'humanité n'est pas du côté où on l'attend.
Dans L'utopie des fous, Anthony Boucard utilise ce procédé sans insistance cependant, comme un point de départ en quelque sorte. C'est l'occasion aussi d'opposer le calme du présent aux affres du passé. Le titre est particulièrement bien choisi avec son ambiguïté grammaticale. D'après les premières pages qui décrivent une émouvante idylle, je comprenais que le foyer d'accueil était ce paradis, cette utopie, ce havre d'amour en dehors du désastre du monde. En refermant le livre, je me dis qu'il est plutôt question de la propension des fous à n'être nulle part, à évoluer dans un espace-temps qui leur appartient, à être abstrait du monde, entre la vie et la mort peut-être dans un nulle part utopique.

La tragédie contemporaine


La quatrième de couverture mentionne Roméo et Juliette. Comme on a l'habitude de la comparaison, on peut ne pas saisir au premier abord toute la dimension tragique de ce mythe associé ici à l'histoire de la seconde guerre mondiale et qui prend une intensité nouvelle. L'horreur est à la hauteur de l'amour. L'immersion est immédiate, le suspense addictif. Chaque personnage, généreusement dépeint, suit une évolution dictée par sa destinée, comme annoncée, et pourtant, les révélations distillées dans le récit sont énormes. On revisite alors les idées de ce conflit, de cette défaite, de la propagande, des simplifications. Collaboration, terrorisme, résistance,occupation, libération, humiliation, culpabilité, responsablité : comment survivre en 1944 ? La succession fatale des événements oblige à repenser les caricatures des manuels d'histoire et pet-être les parcours personnels et familiaux. La loi des causalités est implacable et l'effet papillon des actes personnels remet en question même nos actions quotidiennes - aujourd'hui même. Est-ce cela l'effet cathartique des tragédies ? Non pas un soulagement d'échapper à de telles situations, mais plutôt un ancrage réévalué dans le présent, graine d'avenir et fruit du passé. Enfin, à l'inverse des mythes antiques, ce ne sont pas les Dieux qui ont rendu fous les hommes, ni les souverains qui font le malheur de leur peuple, mais bien chacun-chacune qui, faisant un choix égoïste, provoque la folie d'une société qui rejaillit sur chacun en cercle vicieux. A ce compte-là, qui peut condamner son prochain ? C'est au lecteur d'établir des rapprochements dans un récit aux flashs backs de plus en plus rapides.


Construction de la mémoire et de l'oubli

Il est clair que l'ordre chronologique a tendance à gommer les corrélations entre les causes et les effets. Dans L'utopie des fous, on explore le présent en rétablissant les liens avec les événements du passé qui l'ont déterminé. Certains objets prennent alors une dimension supplémentaire de pièce à conviction : le collier en bois sculpté, le couteau à manche ouvragé, la paire de ciseaux, etc. La mémoire a un rôle de reconstruction et il ne s'agit pas d'enjoliver ni d'assombrir les faits mais plutôt de les relier correctement les uns aux autres. Dans une vie, dans celles de l'entourage, un mot peut faire une différence incommensurable, et en même temps, la chaîne d'événements rendue réelle par un choix minuscule aurait peut-être existé tout de même, sans ces paroles fatales. Les coupables du cauchemar sont-ils ceux que la mémoire place au devant de la scène ? Une phrase revient en tête de chapitre :

"Il faut que je me souvienne encore et encore de ce que nous avons été et de ce que nous sommes devenus. Il faut que je me souvienne pour que les belles choses me donnent la force et que les mauvaises me condamnent."

C'est une réponse à l'utopie du présent, un appel à la réflexion au sens étymologique du terme, un discours pour la paix.

Que lire ensuite ?

Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ?, Le travail invisible des faiseurs du web, Nadia Eghbal

C'est l'effet palimpseste du numérique : les auteurs contemporains écrivent grâce à d'autres écrivains des coulisses: les programmeurs. Il y a forcément des incidences. Mots-clés, rythme de lecture, écran vs page, défilement vs feuilletage, tcd (Temps de cerveau disponible), interférence des think tanks, etc. En plus, l'ouvrage est diffusé grâce à Framabook, qui parie sur le livre libre.

L'Utopie des Fous, Anthony Boucard

Pour l'avoir à soi :  https://www.amazon.fr/Lutopie-fous-Anthony-Boucard/dp/2368452613

ou encore avec tous les commentaires et citations : https://www.babelio.com/livres/Boucard-Lutopie-des-fous/1058412

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