Le Fantôme de l'A72 - Jean Ducreux


Titre : Le Fantôme de l'A72

Auteur : Jean Ducreux

Année de parution : 2018

Editions RPF


Âmes sensibles s'abstenir

Le message est clair, la quatrième de couverture le confirme, des avertissements jalonnent le récit. C'est un vrai carnage- enfin, pas tout à fait quand même : de belles pages d'amour filial nous laissent souffler un peu. Cela dit, les bons comme les méchants, sans distinction, meurent ou en réchappent de peu. Tant de haines et de vindictes qui affectent cette paisible vallée du Forez, c'est un peu trop même : l'intrigue déborde, s'étend et se ramifie jusque dans des pays reculés pour de sombres intérêts internationaux, je n'ose pas dire diplomatiques. Du sang, des tortures, des explosions, des préméditations : ce roman ne part pas gagnant dans mon palmarès de préférences. De plus, je craignais des références plus ou moins directes à une actualité qui s'enkyste, islamisme contre chrétienté, une sorte de dichotomie rebattue.

Mais c'était sans compter toute la sympathie que j'éprouve pour le premier tome doublement chroniqué dans ce blog. C'est que l'auteur sait d'où il vient aussi bien qu'où il va. Et je me suis trouvée embarquée dans une histoire à dormir debout au sens littéral, c'est-à-dire que je devais absolument savoir la fin avant de m'endormir.


A lire jusqu'au bout... et à relire pour savourer l'art du romancier

Si les morts sont généralement annoncées et les coupables désignés plutôt à l'avance, le suspense est pourtant à son apogée car nous assistons à un rapport de force susceptible de s'inverser diamétralement à tout moment. Qui est le Grand Maître à qui tel ou tel personnage doit rendre des comptes ? Quel camp a tendu un piège à l'un des enquêteurs ? Est-ce un sauvetage ou un désastre ? Le lecteur suit de près les personnage, se fourvoyant ou s'illuminant soudain ! Eurêka - mais c'est bien sûr ! Ces caractéristiques sont l'apanage du genre, certes, mais Jean Ducreux qui excelle dans l'art du clin d’œil et autres allusions s'enhardit jusqu'à entrer en scène. Il s'adresse en voix off directement à son lecteur, l'aidant à prendre de la distance avec certaines scènes sensibles ; il met en scène certains éléments privés ; il campe des caractères dont une éventuelle ressemblance avec des personnes ayant existé ne serait pas complètement fortuite.

Bref, c'est un roman néopicaresque, un roman policier, un roman d'amour, et aussi un roman à clef. 
Chaque lecteur est invité à mener son enquête au terme de sa lecture :
Tout d'abord, sur les lieux de l'histoire : la découverte du Forez, de Saint Etienne jusqu'à Lyon et même jusqu'aux Monts d'Or pour apprécier les cachettes, les sorties d'autoroutes, les voies buissonnières, etc... Après avoir lu le roman en famille (sauf les enfants évidemment) on est prêt à partir dans une expédition littéraire de premier ordre, en reconnaissance sur place !
Ensuite, avec les personnages de l'histoire : entre commissariat, mairie, propriétaires fonciers, chefs d'entreprises, quels sont les rôles inspirés d'authentiques personnages ? L'ancrage de l'intrigue s'appuie sur une actualité brûlante - qui se cache derrière qui ? Sans faire de politique, l'auteur transmet un message clair comme de l'eau de roche. Le destin du terrible Shiraz en est la preuve éclatante.

Pourquoi le Fantôme de l'A72 est un roman d'amour

 Le style d'écriture de Jean Ducreux est unique. Très travaillé, au vocabulaire recherché sans être ampoulé, il navigue avec une aisance particulière entre diverses langues : ici l'arabe, le latin, le russe et l'anglais. Certains mots marquent : instinctuel pour instinctif, donne une tournure particulière à l'acception du mot, peut-être plus intellectuelle paradoxalement. L'auteur est un chef d'orchestre linguistique. Et le mot que je retiens sera "maelström", employé deux fois (D'abord pour Loubna et ensuite, Shiraz), et qui selon moi caractérise parfaitement le tourbillon du récit. Si certains auteurs de polars semblent plutôt liés au blues ou au jazz, je verrai assez bien une symphonie aux accents aussi poignants que celle du Nouveau Monde de Dvorak pour accompagner des Crimes et des Routes. C'est un choix tout à fait personnel car l'auteur n'en fait nullement mention.

Les ambiances de chaque chapitre sont plutôt déterminées par des couleurs : plutôt classiques au début (comme le rouge, le vert et le gris dans toutes leurs nuances ;-) ), elles deviennent de plus en plus "conceptuelles" comme la couleur de la vérité ou "train-train". Ce procédé laisse une grande place à l'interprétation du lecteur mais toujours-est-il qu'elles guident l'entrée dans le chapitre. Est-ce que le vert nous donne plus de calme et le rouge davantage de défiance ? Ce serait à explorer.
Au final, ces accroches fonctionnent comme les touches de couleurs dont,en habile impressionniste, l'auteur  habille la couverture. Ces verts, ces rouges, oranges, blancs, noirs, gris ne sont-ils pas exactement ceux de la jaquette ? Quel tour de force de nous rendre présente toute l'histoire d'un seul coup d’œil aux teintes de l'image de la petite église forézienne !

En somme, malgré la dominante terroriste et religieuse de ce deuxième opus de la série, les personnages principaux forment un solide noyau de farouches défenseurs de la justice: Loubna, Khaled et Tad pour ne citer qu'eux, sont des exemples de droiture dans un monde de fous. Ils méritent bien la confiance qu'on leur accorde et sont à l'unisson de ce pays attachant qui sait garder ses racines et assumer ses ailes. Finalement, même si les passions d'amour de ce tome deux semblent plutôt "impossibles" - de même que dans le tome 1 au final, j'en suis ressortie avec la sensation géniale que l'amour existe et qu'il est la clé de la paix et de l'harmonie du monde.
 Merci à l'auteur de m'avoir laissé cette belle impression finale... quoique je pressente hélas que le troisième tome la malmènera de nouveau. Mais que voulez-vous, il faut bien que tourne le monde.

Que lire ensuite ?


Splendeurs et misères d'un Gaijin !
Ce livre m'a interpelée dans le fil de conversation d'un groupe de chronique et bêta lecture sur Facebook
Je cherchais un livre léger, mais pas niais - je ne suis plus un bébé ;-. La couverture m'a rappelé le film "Lost in Translation" que j'ai bien aimé jadis. En tous cas, je ne regrette pas mon inspiration. Ma chronique est par ici ;-) (déjà !)

Le Fantôme de l'A72 - Jean Ducreux

Pour l'avoir à soi : http://ducreux.us/jean-ducreux-les-romans-policiers-du-forez/

À consulter aussi le site dédié :http://ducreux.us/

La page Facebook de l'auteur bien sûr : https://www.facebook.com/jducreux

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